LA FABRICATION DU SAKÉ
Comme le vin et la bière, le saké japonais est un alcool obtenu par fermentation. Mais, dans le cas du saké, le processus est plus long et plus compliqué. C’est cette complexité qui permet au toji (maitre-brasseur) d’élaborer des nihonshu aux arômes et aux saveurs uniques qui se dégustent aussi bien froids que chauds.
Pour le vin, le jus de raisin contient déjà les sucres simples que les levures convertiront en alcool. C’est ce qu’on appelle la fermentation simple.
Pour faire de l’alcool à partir de céréales (ou de pommes de terre), on doit d’abord transformer leur amidon en sucres simples fermentescibles pour que les levures puissent produire de l’alcool. Pour la bière, l’orge est maltée (germination par trempage) et, ensuite, lorsque le malt est chauffé dans l’eau, ses enzymes agissent en transformant les sucres complexes (amidon) en sucres simples fermentescibles (glucose, dextrose et maltose); c’est la saccharification. Les levures, dans un deuxième temps, métamorphoseront ces sucres en alcool. C’est ce qu’on appelle la fermentation multiple successive; la saccharification suivit de la fermentation.
Dans le cas unique du nihonshu, on procède avec une fermentation multiple parallèle; la saccharification de l’amidon du riz et l’alcoolification des sucres simples obtenus ont lieu en même temps dans la même cuve. C’est que les toji utilisent le koji (un type de moisissure) pour saccharifier et solubiliser l’amidon du riz. Et les levures prolifèrent et agissent au fur et à la mesure que le koji crée les sucres fermentescibles.
Les étapes de la
fabrication du saké
Culture du riz :
Les variétés de riz cultivées expressément pour le saké telles que le Gohyakumangoku, le Koshitanrei, Koshiibuki ou le Miyamanishiki ont des grains dont la teneur en protéines est plus faible et dont le cœur d’amidon est plus gros avec des sillons plus profonds.
Ces variétés sont appelées Sakamai 酒米.
Le riz est soigneusement poli pour le débarrasser de son enveloppe de son et une bonne partie de l’endosperme. Le grain perd ainsi des protéines, des lipides et du fer qui autrement interféreraient avec la solubilisation, la saccharification du riz et le goût final. On conserve que le cœur d’amidon nommé Shimpaku 心白. Le riz est diminué au moins de 25 % de son poids. Certains brasseurs ne préservent que 10 % du grain!
Plus le grain est poli, plus le saké aura un arôme puissant, une saveur délicate et un prix élevé.
Lavage et trempage :
Après le polissage, le riz doit récupérer son humidité. Il est d'abord lavé pour le débarrasser des résidus du polissage. Ensuite, il est mis à tremper entre une et trois heures pour l'hydrater assez pour le rendre pénétrable par le koji, mais pas trop pour le rendre trop mou et difficilement maniable; aussi, plus il trempe, plus il perd certains minéraux comme le potassium et le magnésium qui nourrissent le koji. Pour certaines variétés de riz comme l'Omachi, ou les riz dont le taux de polissage est élevé, le trempage est fait manuellement et peut durer entre 5 et 15 minutes.
Étuvage :
Le riz est ensuite étuvé de 30 à 60 minutes. Le riz est refroidi puis divisé; alors qu’une partie est conservée pour le brassin, une petite quantité servira à la préparation du Koji.
L’étuvage a deux fonctions. D’abord, il pasteurise les grains, le Koji et les levures pourront y croître d’autant plus vite qu’il n’y aura pas de concurrents bactériologiques. Ensuite, la cuisson gélatinise l’amidon; ce qui le rend plus vulnérable à l’action enzymatique des spores de Koji.
Koji (麹) :
Dans une pièce appelée Kojimuro (麹室) où l’air est chaud (35° ou plus) et très humide, on saupoudre sur le riz cuit et refroidi des spores de Koji (麹), un champignon connu sous le nom d’Aspergillus Oryzae et principalement utilisé pour décomposer l’amidon en sucre fermentescible. C’est que le Koji sécrète des enzymes de saccharification comme l’alpha-amylase et la glucoamylase qui décomposent les longues chaînes moléculaires de l’amidon en sucre plus simple et fermentescible. On laisse croître le Koji entre 40 et 48 heures.
Le terme Koji désigne le champignon; l’amas de grains inoculés s’appelle Komekoji (米麹). Environ la moitié du Komekoji servira à la création de la culture mère, le Shubo (酒母).
Le pied de cuve ou le Shubo (酒母) :
Du riz poli et étuvé, de l’eau et des levures sont ajoutés au Koji pour former une culture mère, le pied de cuve, qui sert à partir et catalyser la fermentation du mout principal.
Fermentation du moût principal, le Moromi :
Dans une grande cuve, au Shubo (le pied de cuve), on ajoute du riz poli et étuvé, de l’eau et du Kakekoji. L’addition de ces ingrédients se fait en trois étapes réparties sur plusieurs jours; à chacune d’elles, on double la quantité des ingrédients déjà ajoutés. Au départ, c’est comme si on doublait la culture mère. Après une bonne prolifération des levures, à deux occasions, on augmente le volume du moût. Ainsi, la concentration des levures demeure toujours élevée, évitant une contamination du brassin (Moromi) par des levures sauvages ou autres microorganismes non désirés.
Pressage et Filtration :
Le Moromi est passé dans une presse dans laquelle le liquide est séparé de la lie. Ensuite, il est filtré.
Pasteurisation :
Le saké est normalement pasteurisé à 65° pour tuer les levures et neutraliser les enzymes qui pourraient altérer les saveurs.
Maturation :
Le saké repose entre 30 et 90 jours dans une cuve de maturation. Certains sont même vieillis quelques années.
Après cette étape, il y a normalement une seconde pasteurisation et le conditionnement pour la vente.
Si pour le vin le terroir peut être important, pour le saké, l’environnement de la fabrique joue un rôle décisif.
Vous comprendrez que la qualité de la source d’eau est cruciale. Et comme le brassage se fait dans des cuves ouvertes, la température et la qualité de l’air ajoutent aux variables qui engendrent une grande diversité parmi les sakés.
Pour la fabrication du vin, étant donnée la fermentation simple, les qualités et le caractère du raisin ont une influence indéniable sur le goût du produit final.
Pour le saké, même si la liste des ingrédients se limite à l’eau, le riz, le koji et la levure, la complexité et la longueur du processus permettent au toji de composer des arômes et des saveurs uniques. Bien que les potentiels gustatif et aromatique du riz utilisé s’expriment assurément dans le saké, certains saveurs et parfums sont davantage déterminés par la pureté de l'eau, par le choix du koji et des levures, par le savoir-faire du toji et par la minutie des kurabito (artisans de la fabrique de saké).